LXV. Tels étaient les discours par lesquels Périclès s’efforçait de calmer l'irritation des Athéniens contre lui et de donner un autre cours à leurs pensées, tout entières aux douleurs du moment : dans les rapports publics, ils se laissaient ramener par ses paroles, n’en- voyaient plus d’ambassades aux Lacédémoniens et montraient plus d’ardeur pour la guerre. Mais, en particulier, ils s’affligeaient de leurs maux ; le peuple, parce qu’il se voyait privé même du peu qu'il possédait ; les riches, parce qu’ils avaient perdu leurs magnifiques propriétés de campagne, leurs coûteuses constructions et leurs somptueux ameublements. Tous s’irritaient surtout de la guerre, et voulaient la paix. L’irritation générale contre Périclès ne céda que lorsqu’on l’eut condamné à l’amende Cette amende fut de quatre-vingts talents, suivant Diodore, xii , 45. — C’étaitCléon qui l’avait accusé. . Mais, bientôt après, par un caprice familier à la multitude, on le réélut général Il résulte du récit de Diodore ( xii , 45) et de Plutarque ( Périclès ) que c’était un commandement extraordinaire, une sorte de dictature. , et on remit entre ses mains tous les intérêts de l’État ; car déjà les douleurs privées de chacun étaient émoussées, et personne ne paraissait autant que lui à la hauteur des besoins de la république. Tout le temps, en effet, qu’il avait été à la tête des affaires pendant la paix, il avait gouverné avec modération et assuré la sécurité générale. La république était par- venue sous son administration à un haut degré de puissance ; une fois la guerre engagée, on vit qu’il avait prévu tout ce qui pouvait en assurer le succès. Il ne survécut que deux ans et six mois Il mourut de la peste ; mais, suivant Plutarque, le mal prit chez lui un caractère particulier ; il languit longtemps et succomba à une sorte d’épuisement général. au commencement des hostilités ; et, lorsqu’il fut mort, on reconnut mieux encore la justesse de ses prévisions au sujet de la guerre : il avait dit aux Athéniens que s’ils restaient en repos et se contentaient de soigner leur marine, sans chercher dans la guerre un moyen d’étendre leur domination, sans exposer la république à aucun péril, ils auraient le dessus ; sur tous ces points ils firent précisément le contraire ; ils poursuivirent, à leur propre détriment et à celui des alliés, d’autres entreprises L’expédition de Crête, celle de Sicile, etc. qui paraissaient étrangères à la guerre, et où ils n’eurent d’autre règle que l’ambition de quelques individus et des intérêts privés. La réussite ne procurait guère honneur et profit qu’à des particuliers, tandis que les revers affaiblissaient les ressources de l’État pour la guerre. Cela se conçoit : Périclès, aussi éminent par son intelligence que par la considération dont il était entouré, supérieur évidemment aux séductions de la vénalité, contenait le peuple par son noble ascendant et se laissait bien moins conduire par lui qu’il ne le dirigeait lui-même. Cela tenait à ce que, n’ayant pas acquis sa puissance par des moyens illicites, il ne flattait pas le peuple dans ses discours et savait au besoin lui résister avec autorité et colère. Quand il voyait les Athéniens s’abandonner hors de propos à une insolente confiance, il les ébranlait, les modérait par sa parole ; s’il s’apercevait qu’ils fussent abattus sans raison, il relevait leur courage. Le gouvernement était démocratique de nom ; en réalité le pouvoir était aux mains du premier citoyen Plutarque a relevé ce jugement de Thucydide, dans la vie de Périclès, chap. ix . . Mais ceux qui lui succédèrent, n’ayant entre eux aucune supériorité bien marquée, et aspirant chacun de leur côté au premier rang, se mirent à flatter le peuple et soumirent l’administration à ses caprices. Il en résulta, comme cela est inévitable dans un grand État, placé à la tête d’une vaste domination, des fautes nombreuses, entre autres l’expédition de Sicile. Le plus grand tort, toutefois, n’était pas de s’être engagé dans cette guerre ; la faute fut à ceux qui, les troupes une fois expédiées, ne s’inquiétèrent plus, après le départ, de ce qui leur était nécessaire ; tout entiers à leurs intrigues privées, aspirant à l’envi à gouverner le peuple, ils laissèrent, faute de secours, les opérations languir, et excitèrent les premières dissensions intestines à Athènes. Cependant , même après le désastre de l’expédition de Sicile et la perte de la plus grande partie de la flotte, alors que déjà la sédition était dans la ville, les Athéniens résistèrent trois ans Le texte τρία ετn doit être fautif ; car le désastre de Sicile eut lieu au mois de septembre 413 ; et Athènes se soumit à Lysandre au mois d’avril 404, ce qui forme presque un intervalle de dix ans. à leurs anciens ennemis, auxquels s’étaient joints les Siciliens et les alliés révoltés, et plus tard Cyrus lui-même, fils du roi, qui fournissait de l’argent aux Lacédémoniens pour leur flotte. S’ils finirent par succomber, ce ne fut que sous leurs propres coups, au milieu des ruines amoncelées par leurs dissensions intestines : tant était supérieure la sagacité de Périclès, qui avait prévu dès lors par quels moyens Athènes pourrait, dans cette guerre, s’assurer une victoire aisée sur les Péloponnésiens. LXVI. Le même été, les Lacédémoniens et leurs alliés se portèrent, avec cent, vaisseaux, contre l’ile de Zacynthe, située en face de l’Élide. Les habitants sont une colonie achéenne sortie du Péloponnèse, et étaient alors alliés des Athéniens. Mille hoplites lacédémoniens montaient la flotte, commandée par le Spartiate Cnémus. Ils firent une descente et ravagèrent une grande partie de l’île ; mais ils ne purent obtenir sa soumission et se retirèrent.