XCVII. Les Messéniens continuaient à donner à Démosthènes les mêmes conseils qu’auparavant : ils lui représentaient que la réduction des Étoliens serait facile, et l’engageaient à marcher au plus vite sur les bourgades et à s’attacher toujours à prendre celles qu’il trouverait sur son chemin, sans attendre que tous les ennemis se fussent réunis contre lui. Il les crut, et, se fiant à fortune qui ne lui avait jamais fait défaut, il n’attendit même pas les secours que devaient lui amener les Locriens, car il manquait surtout de gens de trait armés à la légère. Il marcha contre Égitium Aujourd’hui Abukor. et l’emporta d’emblée, les habitants ayant pris la fuite pour aller s’établir sur les hauteurs qui dominent la ville. Égitium est bâtie dans une position élevée, à une distance de quatre-vingts stades de la mer. Mais déjà les Étoliens réunis étaient arrivés au secours d’Égitium  ; ils attaquèrent les Athéniens et leurs alliés, se précipitèrent de toutes parts des hauteurs, et les accablèrent de traits. Quand l’armée athénienne avan- çait, ils cédaient le terrain  ; si elle reculait, ils revenaient à la charge. Longtemps le combat se continua ainsi, dans ces alternatives d’attaques et de retraites  ; et ni dans les unes, ni dans les autres, les Athéniens n’eurent l’avantage. XCVIII. Cependant les Athéniens so maintinrent tant que leurs archers eurent des flèches et purent s’en servir  ; car les traits qu’ils lançaient tenaient en respect les Étoliens, légèrement armés. Mais le chef des archers ayant été tué, ceux-ci se dispersèrent  ; le reste des troupes, harassé par la répétition continuelle de la même manoeuvre, vivement pressé d’ailleurs par les Étoliens, et accablé d’une grêle de traits, finit par prendre la fuite. Ils tombèrent dans dos ravins sans issue, ou s’égarèrent dans des sentiers inconnus, et furent massacrés  ; car leur guide, le Messénien Chro mon, avait été tué. Les Étoliens continuaient à les accabler de traits : bons coureurs et armés à la légère, ils les gagnaient à la course et en tuèrent un grand nombre sur place, au lieu même de la déroute. La plupart se trompèrent de chemin, et s’engagèrent dans une forêt, où les Étoliens les brûlèrent en allumant du feu tout autour. La fuite sous tous ses aspects, la mort sous toutes les formes, tel était le spectacle que présentait l’armée athénienne : ceux qui échappèrent ne purent qu’à grand’peine gagner la côte et oenéon en Locride. Le nombre des mort s fut considérable parmi les alliés  ; les Athéniens eux-mêmes perdirent environ cent vingt hoplites, tous à la fleur de l’âge. C’étaient d’excellents soldats qu’Athènes perdit dans cette guerre. L’un des deux généraux, Proclès, y périt également. Les Athéniens, après avoir enlevé leurs morts par une convention avec les Étoliens, retournèrent à Naupacte, et regagnèrent ensuite Athènes sur leurs vaisseaux. Quant à Démosthènes, il resta à Naupacte et dans les environs, craignant la colère des Athéniens après ce qui venait d’arriver. XCIX. Vers la même époque, les Athéniens qui étaient autour de la Sicile cinglèrent vers la Locride : dans une descente ils vainquirent un corps de Locriens venu à leur rencontre, et prirent un poste fortifié situé sur le fleuve Halex. C. Le même été, les Étoliens qui avaient précédemment député à Corinthe et à Lacédémone Tolophus d’Ophionie, Boriade d’Euryte et Tisandre d’Apodotus, obtinrent l’envoi d’une armée, pour agir contre Naupacte qui avait appelé contre eux les Athéniens, Les Lacédémoniens leur expédièrent vers l’automne trois mille hoplites pris parmi les alliés  ; cinq cents venaient d’Héraclée de Trachinie, fondée depuis peu. Cette armée était sous le commandement du Spartiate Euryloque, assisté de Macarius et de Ménédéus également de Sparte. CI. L’armée étant réunie à Delphes, Euryloque envoya un héraut aux Locriens Ozoles dont il fallait traverser le pays pour aller à Naapacte, et qu’il voulait d’ailleurs détacher des Athéniens. Parmi les Locriens, ceux d’Amphissa Aujourd’hui Salona. le secondèrent activement, à cause des inquiétudes que leur inspirait la haine des Pho- céens. Ils furent les premiers à donner des otages, et, secondés par la crainte qu’inspirait l’approche de l’armée, ils déteiminèrent les autres à en fournir également  ; ils gagnèrent d’abord les Myoniens Sur la route d’Amphisssa à Naupacte, à trente stades env’ron de la première. , leurs voisins (car c’est de ce côté que l’accès de la Locride est le plus difficile)  ; ensuite les Olpéens, les Messapiens, les Tritées, les Chaléens, les Tolophoniens, les Hessiens et les OEanthées. Tous ces peuples prirent part à l’expédition. Les Olpéens fournirent des otages, mais ne suivirent pas l’armée  ; les Hyéens ne donnèrent d’otages qu’après la prise de leur bourgade, nommée Polis. CII. Lorsque tout fut prêt, Euryloque déposa les otages à Cytinium An pied du mont oeta, sur les frontières de la Doride et de la Thessalie. le Dorique, et s’avança avec son armée contre Naupacte, à travers le pays des Locriens. Chemin faisant, il prit sur ces derniers oenéon et Eupalium qui avaient, refusé de se joindre à lui. Arrivé à Naupacte avec les Étoliens qui déjà l’avaient rejoint, il ravagea le pays et s’empara du faubourg, qui n’était pas fortifié. Ils marchèrent ensuite contre Molycrium, colonie de Corinthe, soumise alors à la domination athénienne, et s’en emparèrent. Mais l’Athénien Démosthènes, qui n’avait pas quitté les environs de Naupacte depuis son désastre d’Étolie, avait pressenti cette expédition. Il craignit pour la ville et alla chez les Acarnanes pour les décider à secourir Naupacte : ceux-ci ne cédèrent qu’avec peine  ; car ils n’avaient pas oublié sa retraite de Leucade  ; cependant ils embarquèrent mille hoplites qui pénétrèrent dans la place. Ce fut ce qui la sauva  ; car l’enceinte étant fort étendue, et la garnison peu nombreuse, il était à craindre qu’elle ne pût résister. Quand Euryloque et les siens surent que ce renfort était entré dans la ville et qu’il n’y avait plus moyen de la forcer, ils se retirèrent  ; mais au lieu de rentrer dans le Péloponnèse, ils s’établirent dans l’ancienne Éolie, nommée aujourd’hui Calydon, à Pleuron et aux alentours, ainsi qu’à Proschium en Étolie. lis y avaient été déterminés par une ambassade des Ambraciotes qui leur demandaient de se joindre à eux pour attaquer Argos-Amphilochique, le reste de l’Amphilochie et l’Acarnanie. Ils assuraient que, ces con- trées soumises, l’Épire tout entière entrerait dans l’alliance des Lacédémoniens. Euryloque céda à leurs conseils, il congédia les Étoliens et resta tranquillement dans le pays avec son armée, attendant que les Ambraciotes fissent leur expédition, pour leur prêter main-forte dans l’attaque d’Argos. L’été finit. CIII. L’hiver suivant, les Athéniens qui étaient en Sicile, réunis à leurs alliés grecs et à ceux des Sicules qui, pour se soustraire à l’oppression des Syracusains, avaient abandonné leur alliance et embrassé celle d’Athènes, attaquèrent Inessa, petite place de la Sicile, dont la citadelle était au pouvoir des Syracusains. Mais ils ne purent s’en emparer et se retirèrent. Pendant qu’ils battaient en retraite, les Syracusains sortirent des remparts, dressèrent une embuscade, et tombèrent sur les alliés des Athéniens placés à l’arrière-garde  ; ils mirent en déroute une partie de l’armée et tuèrent beaucoup de monde. Après cet échec. Lachès et les Athéniens firent quelques descentes en Locride. Ils défirent sur les bords du Cécinus un corps de trois cents Locriens, qui était venu les attaquer, sous la conduite de Proxénus, fils de Capaton  ; puis ils se retirè- rent avec les armes prises sur l’ennemi. CIV. Le même hiver, les Athéniens purifièrent Délos Il n’était permis ni d’accoucher, ni d’ensevelir les morts à Délos. La fréquente violation de cette règle donna lieu aux diverses purifications qu’y accomplirent les Athéniens. , pour obéir, disait-on, à un oràcle. Elle l’avait déjà été précédemment par le tyran Pisistrate, non pas en entier, mais seulement dans la partie qu’on peut apercevoir du temple Dans la première purification on avait enlevé les morts de tous les points qui pouvaient être aperçus du temple, pour les porter dans une autre partie de l’ile ( Hêrod . i , 64 ). . Cette fois, l’île fut purifiée tout entière de la manière suivante : on enleva tous les tombeaux de ceux qui y étaient morts, et il fut ordonné qu’à l’avenir on ne pût rester dans l’île, ni pour mourir ni pour accoucher L’un et l’autre étaient considérés comme imprimant une souillure aux temples et aux lieux sacrés. Il est question, à chaque instant, dans les historiens, des temples profanés par la présence des morts  ; Thucydide, en particulier, nous en offre de nombreux exemples.   ; on devait se transporter à Rhénie. Cette dernière île est si peu éloignée de Délos Environ quatre stades. , que Polycrate, tyran de Samos, qui eut quelque temps une puissante marine et domina sur plusieurs des autres îles, consacra à Apollon Délien l’île de Rhénie dont il s’était emparé et la réunit à Délos par une chaîne. Ce fut après cette purification que les Athéniens célébrèrent pour la première fois les jeux Déliens, qui reviennent tous les cinq ans. Autrefois déjà et à une époque reculée, il y avait eu à Délos un grand concours d’Ioniens et d’habitants des îles voisines. Ils y venaient en pèlerinage avec leurs femmes et leurs enfants, comme aujourd’hui les Ioniens vont à Éphèse  ; on donnait des combats gymniques et des concours de musique pour lesquels les villes fournissaient des choeurs C’étaient les citoyens riches, et quelquefois les villes qui faisaient la dépense des choeurs pour les fêtes. . C’est ce qui résulte surtout de ces vers d’Homère dans l’hymne à Apollon : Tantôt c’est Délos que tu aimes habiter, ô Phébus  ! C’est là que les Ioniens aux robes traînantes se réunissent en ton honneur, avec leurs enfants et leurs respectables épouses  ; C’est là que, par le pugilat, les danses et les chants, ils te charment, lorsqu’ils célèbrent leurs jeux. Que dans ces fêtes il y eût des concours de musique et qu’on y vînt disputer les prix, c’est ce qu’Homère témoigne aussi par ces vers tirés du même hymne. Après avoir célébré le choeur des femmes de Délos, il termine son chant par ce morceau, où il fait aussi mention de lui-même : « Maintenant, salut  ! Qu’Apollon vous soit propice ainsi que Diane  ! Et vous toutes, adieu  ! gardez-moi aussi quelque souvenir dans l’avenir, et lorsque quelque autre malheureux mortel arrivant ici vous dira : « Jeunes filles, quel est, de tous les chantres qui fréquentent ces lieux, celui qui vous est le plus agréable et sait le mieux vous charmer  ? — Répondez toutes avec une bienveillante faveur : C’est un aveugle qui habite les âpres rochers de Chio. » Tel est le témoignage d’Homère  ; il prouve qu’il y eut autrefois un grand concours et une fête à Délos. Les habitants des îles et les Athéniens continuèrent, par la suite, à envoyer des choeurs et des offrandes sacrées  ; quant aux jeux et à la plupart des autres solennités, il est probable qu’ils furent interrompus par les malheurs des temps, jusqu’à l’époque où les Athéniens établirent, comme nous l’avons dit, la fête de Délos et des courses de chevaux, qui n’avaient pas lieu auparavant. CV. Le même hiver, les Ambraciotes, pour accomplir la promesse sur la foi de laquelle Euryloque était resté avec son armée, marchèrent contre Argos-Amphilochique avec trois mille hoplites. Ils entrèrent dans l’Argie, et prirent Olpes, place forte sur une colline, près de la mer. Elle avait été fortifiée autrefois par les Acarnanes, qui en avaient fait le siège de leur tribunal central. Vingt-cinq stades la séparent d’Argos, qui est une ville maritime. Les Acarnanes se partagèrent : une partie se porta au secours d’Argos  ; les autres allèrent camper dans un endroit de l’Amphilochie nommé les Fontaines, afin d’observer les Péloponnésiens commandés par Euryloque, de peur qu’à leur insu ils ne se réunissent aux Ambraciotes. Ils envoyèrent aussi prier Démosthènes, celui-là même.qui avait commandé les Athéniens en Étolie, de se mettre à leur tête, et mandèrent les vingt vaisseaux athéniens qui se trouvaient autour du Péloponnèse sous les ordres d’Aristote, fils de Timocrate, et d’Hiérophon, fils d’Antimnestus. Les Ambraciotes qui étaient à Olpes envoyèrent de leur côté à Ambracie demander qu’on vînt en masse à leur secours  ; ils craignaient, si les troupes d’Euryloque ne parvenaient pas à traverser les lignes des Acar- nanes, de se trouver ou réduits à combattre seuls, ou compromis s’ils voulaient effectuer leur retraite. CVI. Cependant Euryloque, informé de l’arrivée des Ambraciotes à Olpes, partit de Proschium avec les troupes péloponnésiennes, et marcha en toute hâte à leur secours. Il passa l’Achéloüs, et s’avança à travers l’Acarnanie, alors abandonnée par les troupes qui s’étaient portées au secours d’Argos. Il avait à droite Strates et sa garnison  ; à gauche, le reste de l’Acarnanie. Après avoir traversé le territoire des Stratiens, il passa par Phytia, par l’extrémité du pays de Médéon, et ensuite par Limnée. En sortant de l’Acarnanie, il entra chez les Agréens, alliés des Acarnanes. Il prit par le Thyamus, montagne agreste, le franchit, et descendit dans l’Argie. Il était nuit à ce moment. Les Péloponnésiens passèrent inaperçus entre la ville d’Argos et le corps d’observation des Acarnanes campé aux Fontaines, et firent leur jonction avec les Ambraciotes réunis à Olpes. CVII. La jonction opérée, ils se portèrent, quand le jour fut venu, au lieu nommé Métropolis, et y campèrent. Les Athéniens arrivèrent peu après, avec leurs vingt vaisseaux, au golfe d’Ambracie pour secourir les Argiens. Démosthènes arriva de son côté avec deux cents hoplites messéniens et soixante archers athéniens. La flotte mit à l’ancre devant la colline où s’élève Olpes. Les Acarnanes et quelques Amphiloquiens (car la plus grande partie était interceptée par les Ambraciotes) étaient déjà réunis à Argos, et se préparaient à combattre l’ennemi. Toutes les troupes confédérées choisirent, indépendamment de leurs propres généraux, Démosthènes pour les commander en chef. Il les conduisit près d’Olpes, et y établit son camp : un ravin profond séparait les deux armées. Pendant cinq jours on resta en repos, et le sixième on se mit de part et d’autre en ordre de combat. Comme l’armée péloponnésienne était plus nombreuse et débordait la ligne de bataille, Démosthènes, craignant d’être enveloppé, mit en embuscade dans un chemin creux masqué par des buissons, des hoplites et des troupes légères, au nombre de quatre cents hommes en tout. Ils avaient ordre de se lever, l’ac- tion une fois engagée, et de prendre à dos les ennemis du côté où ils auraient l’avantage du nombre. Les préparatifs terminés de part et d’autre, on en vint aux mains. Démosthènes occupait l’aile droite avec les Messéniens et quelques Athéniens. Les Acarnanes, rangés en corps séparés, formaient le reste de la ligne, avec ceux des Amphiloquiens armés de javelots qui assistaient au combat. Les Péloponnésiens et les Ambraciotes étaient mêlés ensemble, à l’exception des Mantinéens, qui formaient un corps séparé et s’étendaient surtout vers la gauche, sans occuper cependant l’extrémité de l’aile  ; Euryloque s’y était placé avec ses troupes, pour faire face aux Messéniens et à Démosthènes. CVIII. Déjà l’action était engagée et les Péloponnésiens, débordant l’aile droite de l’ennemi, commençaient à l’envelopper, lorsque les Acarnanes sortirent de leur embuscade, tombèrent sur eux, et les mirent en déroute. Leur trouble fut tel, qu’ils ne résistèrent pas au premier choc, et entraînèrent dans leur panique le reste des troupes avec eux  ; car, quand on vit en déroute le corps d’Euryloque, le plus solide de l’armée, la terreur n’en fut que plus grande. Ce furent les Messéniens, placés à cette aile sous les ordres de Démosthènes, qui contribuèrent surtout au succès de l’action. Cependant les Ambraciotes et les troupes de l’aile droite eurent l’avantage de leur côté, et poursuivirent l’ennemi vers Argos  ; car ce sont les hommes les plus belliqueux de ces contrées. Mais quand, à leur retour, ils virent la défaite de la plus grande partie de l’armée, vivement pressés eux-mêmes par les autres Acarnanes, ils se rabattirent sur Olpes, et n’échappèrent qu’avec peine. Beaucoup périrent en se précipitant confusément et sans aucun ordre vers cette place  ; pourtant les Mantinéens opérèrent leur retraite en meilleur ordre que fout le reste de l’armée. Le combat finit vers le soir. CIX. Le lendemain, Ménédée remplaça dans le commandement Euryloque et Macarius, qui avaient été tués. Embarrassé après un aussi grand désastre, il ne voyait aucun moyen ni de soutenir un siège en gardant ses positions, puisqu’il était coupé par terre et bloqué sur mer par la flotte athénienne, ni de s’échapper par une retraite  ; il fit donc des ouvertures à Démosthènes et aux généraux des Acarnanes pour obtenir un accommodement, avec la permission de se retirer et d’enlever ses morts, ils lui accordèrent cette dernière demande, dressèrent eux-mêmes un trophée, et enlevèrent leurs propres morts au nombre de trois cents. Quant à la retraite, ils firent ouvertement à tous les ennemis un refus formel  ; mais, en secret, Démosthènes, de l’aveu des généraux acarnanes ses collègues, permit auxMantinéens, à Ménédée et aux autres chefs dea Péloponnésiens, ainsi qu’aux plus marquants de la nation, de se retirer au plus vite. Son but était d’ïsoler les Ambraciotes et la foule des mercenaires étrangers  ; mais, par-dessus tout, il visait à rendre suspects aux Grecs de cette contrée les Lacédémoniens et les Péloponnésiens, comme des traîtres qui n’avaient songé qu’à leur propre intérêt. Ils enlevèrent leurs morts, qu’ils ensevelirent à la hâte et au hasard. Ceux qui avaient obtenu l’autorisation de se retirer prirent secrètement leurs mesures. CX. Cependant on vint annoncer à Démothènes et aux Acarnanes que les Ambraciotes de la ville, sur le premier message qui leur avait été envoyé d’Olpes, venaient en masse au secours des leurs, et qu’ils s’avançaient par le pays des Amphiloques, sans rien savoir de ce qui s’était passé, afin d’opérer leur jonction à Olpes. Il envoya sur-le-champ une partie de son armée préparer des èmbuscades sur la route et occuper à l’avance les positions les plus fortes. Lui-même se tint prêt à marcher avec le reste. CXI. Pendant ce temps, les Mantinéens et tous ceux qui étaient compris dans la convention sortirent du camp sans bruit, et par petites troupes, sous prétexte d’aller ramasser des légumes et des broussailles. Ils affectaient même d’en recueillir en effet  ; mais, une fois éloignés d’Olpes, ils se retirèrent précipitamment Dès que les Ambraciotes et les autres troupes qui se trouvaient acculées sur ce point s’aperçurent de leur départ, ils s’élancèrent à leur tour, et se mirent à courir pour les rejoindre. Au premier moment, les Acarnanes crurent que tous se sauvaient au même titre et sans convention. Ils se mirent à la poursuite des Péloponnésiens, et comme quelques-uns de leurs généraux vou- laient les arrêter en leur disant que la retraite avait lieu par suite d’un accord, il y en eut qui les frappèrent euxmêmes à coups de javelots, persuadés qu’ils trahissaient. Cependant on laissa ensuite passer les Mantinéens et les Péloponnésiens, mais les Ambraciotes étaient massacrés. De nombreuses contestations s’élevaient, et l’embarras était grand pour savoir qui était d’Ambracie ou du Péloponnèse. On en tua environ deux cents  ; les autres se réfugièrent dans l’Agraïde, pays limitrophe Séparé de l’Amphilochie par l’Achéloüs. , et furent bien reçus par Salynthius, roi des Agréens, qui était leur ami. CXII. Les Ambraciotes de la ville arrivèrent à Idomène  ; on appelle ainsi deux collines élevées. La plus considérable des deux avait été occupée de nuit par les soldats que Démosthènes avait envoyés en avant : ceux-ci avaient prévenu l’ennemi et s’y étaient installés à son insu. Les Ambraciotes, de leur côté, étaient montés les premiers sur la plus petite, et y bivaquèrent. Démosthènes se mit en marche dès le soir, aussitôt après le repas, avec le reste de son armée. Il en prit avec lui la moitié pour occuper les passages  ; l’autre moitié s’avança vers les montagnes de l’Amphiloquie. Au point du jour, il fondit sur les Ambraciotes encore couchés, et tellement éloignés de pressentir l’événement, qu’ils crurent au contraire à l’arrivée des leurs. En effet, Démosthènes avait, à dessein, placé aux premiers rangs les Messéniens, et leur avait ordonné d’adresser la parole à l’ennemi en se servant de l’idiome dorique, afin d’entretenir la sécurité des gardes avancées. D’ailleurs, il faisait encore nuit, et l’on ne pouvait se reconnaître à la vue  ; aussi, à peine fut-il tombé sur leur armée qu’il la mit en fuite. Un grand nombre fut tué sur place  ; le reste s’enfuit précipitamment à travers les montagnes. Mais les chemins étaient interceptés  ; les Amphiloquiens d’ailleurs connaissaient le pays, qui était le leur, et ils avaient contre les hoplites l’avantage d’être légèrement armés  ; les Ambraciotes, au contraire, faute de connaître les lieux, ne savaient où se tourner : ils tombaient dans les ravins, donnaient dans les embuscades dressées à l’avance, et y trouvaient la mort. La déroute était partout  ; quelques-uns même, à bout de moyens, se dirigent vers la mer, qui n’est pas fort éloignée  ; ils aperçoivent la flotte athénienne, qui, par hasard, rasait la côte au moment même de l’action, et se précipitent à la nage pour la rejoindre, aimant mieux, sous l’impression de la terreur, mourir, s’il le faut, de la main de ceux qui sont dans les vaisseaux, que sous les coups des barbares Amphiloquiens, leurs plus cruels ennemis. Tel fut le désastre des Ambraciotes  ; ils étaient venus en grand nombre, et bien peu rentrèrent sains et saufs dans leur ville. Les Acarnanes, après avoir dépouillé les morts et dressé des trophées, retournèrent àArgos. CXIII. Le lendemain, arriva près d’eux un héraut, de la part de ceux des Ambraciotes qui, d’Olpes, s’étaient réfugiés chez les Agréens. Il venait réclamer les corps de ceux qui avaient été tués après le premier combat, lorsque, sans être compris dans la convention, ils étaient sortis avec les Mantinéens et ceux que couvrait le traité. Le héraut, à l’aspect des armes prises sur les Ambraciotes de la ville, s’étonna d’en voir un si grand nombre  ; car il ignorait le dernier désastre et pensait que c’étaient celles de ses compagnons. Quelqu’un lui demanda ce qui l’étonnait et combien ils avaient perdu de monde  ; celui qui fai- sait cette question croyait, de son côté, que le héraut venait de la part de ceux d’Idomène. — Deux cents en tout, répondit celui-ci. — Mais, reprit celui qui l’interrogeait, ce ne sont pas là, ce semble, les armes de deux cents hommes, mais de plus de mille. — Alors, dit à son tour le héraut, ce ne sont pas les armes de ceux qui ont combattu avec nous. — Ce sont elles, reprit l’autre, si c’est vous qui avez combattu hier à Idomène. — Hier nous n’avons combattu contre personne, mais bien avant-hier dans notre retraite. — Et nous, c’est hier que nous avons combattu contre ceux-ci, qui étaient venus de la ville d’Ambracie au secours des leurs. A ces mots, le héraut comprit que le secours venu de la ville avait été défait  ; il éclata en gémisse- ments, et, atterré par l’immensité de ce désastre, il se retira aussitôt sans remplir sa mission ni réclamer les morts. Ce fut, en effet, dans tout le cours de cette guerre, la plus grande catastrophe qu’une ville grecque ait éprouvée en aussi peu de jours. Je n’ai pas relaté le nombre des morts, parce que ce qu’on en rapporte n’est pas croyable, eu égard à l’importance de la ville. Ce que je sais, c’est que si les Acarnanes et les Amphiloquiens eussent voulu s’emparer de la ville, conformément à l’avis des Athéniens et de Démosthènes, ils pouvaient la prendre d’emblée  ; mais ils craignaient alors que les Athéniens, maîtres de cette ville, ne devinssent pour eux des voisins trop incommodes. CXIV. On assigna ensuite le tiers des dépouilles aux Athéniens  ; le reste fut partagé entre les villes alliées. Mais la part des Athéniens fut prise en mer  ; les trois cents armures complètes qu’on voit aujour- d’hui déposées dans les temples de l’Attique avaient été réservées à Démosthènes, qui les rapporta lui-même sur son navire. Cette dernière affaire réparait son désastre d’Étolie, et il put revenir avec plus de sécurité. Les Athéniens des vingt vaisseaux retournèrent de leur côté à Naupacte. Après le départ des Athéniens et de Démosthènes, les Acarnanes et les Amphiloqniens firent, avec les Ambraciotes et les Péloponnésiens réfugiés chez Salyn thius et les Agréens, un accommodement qui les autorisait à sortir d’OEniades, où ils avaient passé en quittant Salynthius. Ils conclurent aussi pour l’avenir un traité d’alliance de cent années avec les Ambraciotes  ; les conditions étaient que les Ambraciotes ne porteraient pas les armes avec les Acarnanes contre les Péloponnésiens, ni les Acarnanes avec les Ambraciotes contre les Athéniens  ; qu’ils se prêteraient un mutuel appui pour la défense de leur territoire  ; que les Ambraciotes rendraient toutes les places et les otages amphiloquiens qu’ils avaient en leur possession  ; enfin qu’ils ne donneraient pas de secours à Anactorium, place ennemie des Acarnanes. Ce traité mit fin à la guerre. Les Corinthiens envoyèrent ensuite à Arnbracie une garnison de trois cents hoplites, sous le commandement de Xénoclidas, fils d’Euthyclès. Ils prirent leur route par l’Épire, et n’arrivèrent qu’avec peine à leur destination. Telle fut l’issue des affaires d’Ambracie. CXV. Les Athéniens qui étaient en Sicile firent, le même hiver, une descente sur les côtes d’Himéra, de concert avec les Siciliens de l’intérieur, qui envahirent les frontières des Himériens du côté opposé. Ils attaquèrent aussi les îles Éoliennes. A leur retour, ils trou- vèrent à Rhégium Pythodore, fils d’Isolochus, général athénien, nommé, en remplacement de Lachès, au commandement de la flotte. Les alliés de Sicile s’étaient rendus auprès des Athéniens, et avaient obtenu un secours plus considérable en vaisseaux, car les Syracusains, étant maîtres du pays, s’indignaient de ce qu’un petit nombre de vaisseaux leur fermât la mer, et se préparaient, en rassemblant leur flotte, à mettre un terme à cet état de choses. Les Athéniens équi- pèrent donc quarante vaisseaux pour les envoyer en Sicile  ; ils voyaient là un moyen d’en finir plus vite avec cette guerre, et une occasion d’exercer leur marine. L’un des généraux, Pythodore, fut envoyé en avant avec un petit nombre de vaisseaux  ; les deux autres, Sophocle, fils de Sostratidès, et Eurymédon, fils de Thuclès, devaient le suivre avec le gros de la flotte, Pythodore, lorsqu’il eut pris le commandement des vaisseaux de Lachès, s’embarqua vers la fin de l’hiver pour attaquer la forteresse des Locriens, déjà prise auparavant par Lachès  ; mais il fut battu par les Locriens, et s’en retourna. CXVI. Dans le même printemps, un torrent de feu coula de l’Etna, phénomène qui s’était déjà produit précédemment. Il ravagea une partie du territoire des Catanéens qui habitent au pied de l’Etna, la plus haute montagne de la Sicile. On dit que cette éruption eut lieu cinquante ans après la précédente, et qu’il y en eut trois en tout depuis que la Sicile est habitée par les Grecs. Tels sont les événements de cet hiver  ; avec lui finit la sixième année de cette guerre, dont Thucydide a écrit l’histoire. LIVRE QUATRIÈME. L’été suivant 426 avant notre ère  ; septième année de la guerre. , vers le temps où le blé commence à monter, dix vaisseaux de Syracuse et autant de Locres firent voile pour Messène de Sicile, sur l’invitation dos habitants eux-mêmes. Ils l’occupèrent, et Messène se détacha des Athéniens. Ce qui détermina surtout les Syracusains à cette entreprise, fut la considération que cette place est une des clefs de la Sicile, et la crainte que les Athéniens ne la prissent un jour pour base, afin de les attaquer avec des forces supérieures. Les Locriens, de leur côté, étaient poussés par leur haine contre Rhégium qu’ils voulaient attaquer par terre et par mer. Aussi envahirent-ils en même temps, avec toute leur armée, le territoire des Rhégiens, afin de les empêcher de secourir Messène  ; ils y étaient d’ailleurs excités par les bannis de Rhégium qu’ils avaient auprès deux  ; car cette ville, en proie depuis longtemps aux séditions, était alors dans l’impossibilité de repousser les Locriens  ; et ceux-ci n’en étaient que plus ardents à l’attaquer. Leur armée de terre, après avoir ravagé le pays, s’en retourna  ; la flotte resta à garder Messène. D’autres vaisseaux qu’ils équipèrent devaient venir y stationner également et en faire le centre de leurs opérations. II. Vers la même époque du printemps, avant la maturité des blés, les Péloponnésiens et leurs alliés envahirent l’Attique, sous le commandement d’Agis, fils d’Archidamus, roi des Lacédémoniens. Ils y campèrent, et ravagèrent le pays. Les Athéniens, de leur côté, envoyèrent en Sicile les quarante vaisseaux qu’ils avaient préparés, avec les deux généraux restés en arrière, Eurymédon et Sophocle  ; Pythodore, le troisième, les avait précédés en Sicile. Ils avaient ordre de protéger, en passant devant Corcyre, les habitants de la ville contre les brigandages de la faction réfugiée sur la montagne. Les Péloponnésiens avaient aussi envoyé sur le même point soixante vaisseaux au secours des Corcyréens de la montagne  ; et, comme la famine se faisait grandement sentir dans la ville, ils espéraient y établir aisément leur autorité. Démostbènes, simple particulier depuis son retour de l’Acarnanie, avait été autorisé, sur sa demande, à disposer, s’il le voulait, de la flotte athénienne, pendant la traversée en vue du Péloponnèse. III. Les Athéniens naviguaient sur les côtes de la Laconie, lorsqu’ils apprirent que les vaisseaux péloponnésiens étaient déjà à Corcyre. Eurymédon et Sophocle avaient hâte de s’y rendre  ; mais Démosthènes voulait qu’on abordât d’abord à Pylos Malgré la précision des détails que donne Thucydide, sur Pylos et Sphactérie, des doutes nombreux se sont élevés sur la position de l’ile et de la ville. L’ile de Sphagie, aujourd’hui Prodrona, à laquelle parait s’appliquer la description de notre historien, est plus éloignée des côtes que ne paraît l’avoir été originairement Sphactérie. Les deux passes ont une largeur considérable  ; le port est fort étendu. Cependant il ne nous paraît pas possible d’élever à cet égard une contestation sérieuse : la disposition des passes est conforme au récit de Thucydide. En supposant qu’il ne se soit pas trompé sur leur étendue, elles peuvent avoir été alors rétrécies par des ensablements. On trouve à Prodona la fontaine qui était au centre de Sphactérie  ; la disposition des côtes est la même  ; enfin aucun autre point sur cette plage ne satisfait aussi exactement à la description de Thucydide. — Pylos est aujourd’hui Zouchio, ou vieux Navarin. pour y faire les travaux nécessaires, et reprendre ensuite la mer. Comme les deux généraux repoussaient cet avis, une tempête survint qui poussa la flotte droit à Pylos. Démosthènes demanda alors qu’on établît immédiatement sur ce point une enceinte fortifiée. C’était dans ce but, disait-il, qu’il avait pris part à l’expédition  ; il fit voir qu’il y avait en abondance du bois et des pierres, que le lieu était fortifié par la nature et désert ainsi que les environs, à une grande distance. Car Pylos, éloignée de Sparte de quatre cents stades, est située dans la contrée qui fut autrefois la Messénie et que les Lacédémoniens appellent Coryphasium. On lui répondit qu’il ne manquait pas, dans le Péloponnèse, de promontoires déserts, dont il pouvait s’emparer s’il voulait constituer la république en dépenses. Démos- thènes pensait, au contraire, que cet emplacement présentait des avantages tout particuliers. Outre qu’il s’y trouvait un port, les Messéniens, en communauté d’origine avec les anciens habitants et parlant la même langue que les Lacédémoniens, pourraient de là faire beaucoup de mal à l’ennemi, en même temps qu’ils seraient de fidèles gardiens de la place. IV. N’ayant pu persuader ni les généraux ni les soldais, quoiqu’il eût ensuite communiqué son dessein aux taxiarques Les taxiarques étaient les officiers inférieurs de l’armée. Ils ne doivent pas être confondus avec d’autres taxiarques, magistrats élus tous les ans, au nombre de dix, un dans chaque tribu, pour commander l’infanterie, quand le peuple en masse faisait une expédition. eux-mêmes, il resta tranquille. Mais, comme la mer n’était pas navigable, les soldats inoccupés conçurent d’eux-mêmes la pensée d’élever une enceinte et de fortifier la place. Ils mirent la main à l’oeuvre et, faute d’outils pour tailler les pierres, ils les choisissaient et plaçaient chacune d’elles là où elle pouvait s’adapter C’était, sauf l’importance, quelque chose d’analogue aux murailles cyclopéennes. . S’ils avaient besoin de mortier, à défaut d’auges ils le portaient sur leur dos, en se courbant, pour le maintenir autant que possible, et en croisant les mains derrière le dos, pour l’empêcher de tomber. Ils s’empressaient et mettaient tout en oeuvre pour prévenir les Lacédémoniens, et fortifier les points les plus accessibles avant d’être attaqués par eux. Du reste, la plus grande partie de la position se trouvait naturellement fortifiée et n’avait pas besoin de murailles. V. Les Lacédémoniens étaient alors à célébrer une fête. Quand ils apprirent cette nouvelle, ils s’en inquiétèrent peu, persuadés que l’ennemi ne tiendrait pas à leur approche, ou que, du moins, ils emporteraient aisément la place de vive force. Ils étaient d’ail- leurs retenus par cette considération que leur armée n’était pas encore de retour de l’Attique. Les Athéniens, après avoir fortifié en six jours Diodore ( xii , 61) dit, au contraire, vingt jours. le côté du continent et les autres parties de la place qui en avaient le plus besoin, laissèrent Démosthènes avec cinq vaisseaux pour la garder, et se hâtèrent de faire voile avec le reste de la flotte pour Corcyre et la Sicile. VI. Dès que les Péloponnésiens qui étaient dans l’Attique apprirent l’occupation de Pylos, ils s’empressèrent de rentrer chez eux : les Lacédémoniens et Agis, leur roi, pensaient que l’affaire de Pylos les intéressait particulièrement  ; d’ailleurs, comme leur invasion avait eu lieu de bonne heure, pendant que le blé était encore vert, ils manquaient généralement de vivres  ; enfin, il était survenu des froids extraordinaires pour la saison, et l’armée en avait beaucoup souf- fert. Une foule de causes contribuèrent donc à accélérer leur retour et à abréger la durée de cette incursion  ; car ils ne restèrent que quinze jours dans l’Attique. VII. Vers le même temps, Simonide, général athénien, s’empara par trahison d’Éion Cette ville doit différer d’Eion, à l’embouchure du Strymon, que les Athéniens n’avaient pas cessé d’occuper. Mende était située au sud de la presqu’île de Pallène. en Thrace, colol’île des Mendéens, ennemie d’Athènes. Il avait rassemblé à cet effet quelques Athéniens des garnisons et une foule d’alliés du pays  ; mais, attaqué par les Chalcidiens et les Bottiéens venus en hâte au secours de la place, il fut chassé et perdit un grand nombre de soldats. VIII. Dès que l’armée péloponnésicnne fut rentrée de l’Attique, les habitants de Sparte Les Spartiates sont les habitants mêmes de la ville, distincts du reste des Lacédémoniens, auxquels ils n’accordèrent jamais le droit de cité. et les Lacédémoniens du voisinage Les périoeces, c’est-à-dire ceux qui entourent la ville. Ils ne jouissaient pas non plus de tous les privilèges des citoyens. se portèrent en toute hâte contre Pylos. Le reste, arrivant à peine d’une autre expédition, ne marcha que plus tard. Ils firent publier dans le Péloponnèse qu’on eût à diriger, sans aucun retard, des secours sur Pylos, et mandèrent les soixante vaisseaux qu’ils avaient à Corcyre. Cette flotte, transportée par-dessus l’isthme de Leucade, parvint à Pylos sans être aperçue par les vaisseaux athéniens stationnés à Zacynthe Ces vaisseaux doivent être ceux d’Eurymédon et de Sophocle qui se rendaient en Sicile. . Déjà l’armée de terre était arrivée de son côté. Mais pendant que les Péloponnésiens étaient encore en mer, Démosthènes avait eu le temps d’envoyer secrètement deux vaisseaux à Zacynthe, pour annoncer à Eurymédon et à la flotte athénienne lé danger qui menaçait la place, et réclamer leur secours. Sur cet avis de Démosthènes, la flotte partit précipitamment. Les Lacédémoniens se préparaient à attaquer Pylos par terre et par mer : ils comptaient l’emporter aisément  ; car les ouvrages avaient été élevés à la hâte, et la garnison était peu nombreuse. Cependant, s’attendant à voir la flotte athénienne de Zacynthe arriver au secours, ils projetèrent, s’ils ne s’emparaient pas de la forteresse auparavant, de boucher les passes du port pour empêcher les Athéniens d’y aborder. En effet, l’ile nommée Sphactérie, qui s’étend devant le port à une petite distance, lui sert d’abri et ne laisse, pour y pénétrer, que deux étroits passages : l’un, en face de Pylos et des ouvrages athéniens, ne peut recevoir que deux vaisseaux de front Cette passe a une largeur de cent cinquante pieds anglais, et l’autre de quatorze cents.   ; le second, à l’autre extrémité de l’île, huit ou neuf. Cette île, alors inhabitée, était entièrement couverte de bois et sans chemins battus. Son étendue est d’environ quinze stades. Les Lacédémoniens avaient résolu de fermer étroitement les passes en y plaçant des vaisseaux, la proue en avant. Quant à l’île, craignant que l’ennemi ne s’en fît un point d’appui pour les attaquer, ils y firent passer des hoplites  ; d’autres furent placés sur le continent, afin que les Athéniens, trouvant partout l’ennemi devant eux, et dans l’île et sur le continent, ne pussent aborder. Car la côte de Pylos n’étant abordable par mer sur aucun autre point que le port lui-mème, les Athéniens ne devaient avoir aucun moyen de venir au se- cours des leurs. Dès lors les Lacédémoniens s’empareraient vraisemblablement de la place sans combat naval, sans aucun danger, d’autant mieux que les vivres manquaient et que l’occupation avait eu lieu sans moyens de défense suffisants. Sur ces conjectures, ils firent passer dans l’île des hoplites tirés au sort dans toutes les cohortes. D’abord on les relevait à tour de rôle. Les derniers qui y furent envoyés et qui y restèrent étaient au nombre de quatre cent vingt, indépendamment des Hilotes à leur service. Épitadas, fils de Mélobrus, les commandait. IX. Démosthènes, voyant les Lacédémoniens sur le point d’attaquer à la fois par mer et par terre, fît, de son côté, des dispositions : il fit amener sous le rempart et palissader ce qui lui restait des galères laissées à sa disposition Sur cinq, il en avait envoyé deux à Zacynthe.   ; il arma les matelots de mauvais boucliers, la plupart d’osier  ; car, dans ce lieu désert, il était impossible de se procurer des armes. Celles-là mêmes avaient été tirées d’un vaisseau corsaire à trente rames et d’un bâtiment léger, tous deux messéniens C’étaient probablement des Messéniens de Naupacte, alliés des Athéniens. , qui avaient par hasard abordé sur cette côte. Ces Messéniens lui avaient aussi fourni quarante ho- plites environ, qu’il employa avec les autres. Il plaça la plus grande partie de ses soldats, armés ou non, sur le point le mieux fortifié et le plus sûr, du côté du continent, leur recommandant de repousser l’infanterie, si elle attaquait. Lui-même, avec soixante hoplites et quelques archers, qui formaient l’élite de sa troupe, sortit de l’enceinte fortifiée et se dirigea vers la mer, du côté où il lui paraissait probable que les Lacédémoniens tenteraient la descente. C’était une côte battue par la haute mer, d’un accès difficile et hérissée de rochers  ; mais il pensait que l’extrême faiblesse de la muraille de ce côté les déciderait à y faire une tentative. Car les Athéniens avaient négligé de fortifier ce point, dans la pensée qu’ils auraient toujours la supériorité sur mer  ; maintenant ils sentaient que, si l’ennemi opérait une descente de vive force, la place serait facilement emportée. Démosthènes s’y rendit donc  ; il rangea ses hoplites sur le bord de la mer afin d’empêcher la descente, s’il était possible, et les exhorta en ces termes : X. « Guerriers, qui avez voulu partager avec moi le péril actuel, que personne de vous, dans une telle extrémité, ne songe à faire preuve de pénétration en calculant toute l’étendue du danger qui nous environne  ; mais plutôt que chacun, sans regarder autour de lui, se précipite avec bon espoir au devant de l’ennemi et par là obtienne la victoire. Au point où nous en sommes, dans une telle extrémité, il ne s’agit plus de réfléchir, mais de courir au plus vite au danger. Quant à moi, je vois que la plupart des chances sont de notre côté, si nous voulons tenir ferme, ne pas nous effrayer de leur nombre, et ne point trahir nos avantages : nous avons pour nous l’accès difficile de cette côte  ; c’est un allié qui combattra avec nous, si nous restons inébranlables. Mais si nous cédons, quelque inabordable qu’elle soit, elle livrera un passage facile quand personne ne la défendra plus  ; et alors la lutte sera plus opiniâtre  ; parce que l’ennemi, même repoussé par nous, ne pourra que difficilement opérer sa retraite. Tant qu’il sera sur ses vaisseaux, vous le repousserez aisément  ; mais une fois débarqué, les chances sont égales. « La multitude de vos ennemis ne doit pas non plus vous trop effrayer  ; car, quelque nombreux qu’ils soient, ils ne donneront que partiellement, grâce à la difficulté de l’abordage  ; il ne s’agit pas ici d’une armée de terre, placée d’ailleurs dans des conditions égales et supérieure en nombre  ; c’est du haut de leurs vaisseaux qu’ils combattent, et, en mer, il faut aux navires le concours de bien des circonstances. Je pense donc que leurs désavantages compenseront notre faiblesse numérique. D’ailleurs, vous êtes Athéniens  ; vous savez par expérience que, dans un débarquement, si on résiste, si on tient ferme, sans se laisser effrayer par le bruit des vagues et l’approche impétueuse des vaisseaux, on ne saurait être forcé. Soyez donc inébranlables, je vous en conjure, combattez sur ces rochers mêmes, et sauvez tout à la fois vous-mêmes et la place. » XI. Ces exhortations de Démosthènes exaltèrent encore le courage des Athéniens  ; ils descendirent au bord de la mer et s’y rangèrent en bataille. Les Lacédémoniens s’avancèrent alors, et attaquèrent en même temps la place par terre et par mer. Leur flotte, forte de qua- rante-trois voiles, était commandée par le Spartiate Thrasymélidas, fils de Cratésiclès. Il donna à l’endroit même qu’avait prévu Démosthènes. Les Athéniens firent face des deux côtés, vers la terre et vers la mer. Les vaisseaux lacédémoniens, disposés par petites divisions, parce que l’abordage n’était pas possible pour un plus grand nombre, venaient tour à tour se relever à l’attaque. De toutes parts on rivalisait d’ardeur et on s’excitait mutuellement à forcer les Athéniens et à enlever les retranchements  ; mais celui qui montra le plus brillant courage fut Brasidas, qui commandait une trirème : voyant que, par suite de la difficulté des lieux, les triérarques et les pilotes hésitaient à abor- der, même là où il paraissait possible de le faire, dans la crainte de briser leurs vaisseaux, il leur crie qu’il ne convient pas, pour ménager du bois, de laisser l’ennemi se fortifier dans leur pays  ; « que les Lacédémoniens, dit-il, abordent de vive force en brisant leurs vaisseaux  ; que les alliés n’hésitent pas, en retour de tant de bienfaits, à sacrifier leurs navires aux Lacédémoniens dans cette circonstance  ; qu’on s’échoue, qu’on débarque par tous les moyens, et qu’on s’empare des hommes et de la place. » XII. Après avoir excité les autres par ces paroles, il force son pilote à s’échouer et court à l’échelle. Mais au moment même où ils s’efforce de descendre, il est frappé par les Athéniens, criblé de blessures, et s’affaisse privé de sentiment. En tombant à l’extrémité de la proue, il laissa échapper son bouclier qui coula dans la mer et fut porté à la côte  ; les Athéniens le recueillirent et le firent ensuite figurer dans le trophée qu’ils élevèrent à l’occasion de cette attaque. Les autres, malgré leurs efforts, ne purent non plus débarquer, arrêtés par l’escarpement de la côte et la résistance des Athéniens qui ne reculèrent pas un instant. Par une étrange interversion des rôles, c’était sur terre, et sur une terre lacédémonienne, que les Athéniens repoussaient les Spartiates attaquant par mer  ; et ceux-ci venaient avec leurs vaisseaux tenter sur leur propre territoire, devenu pays ennemi, une descente contre les Athéniens. Car les Lacédémoniens étaient surtout renommés, à cette époque, comme peuple continental, pour l’excellence de leurs armées de terre, et les Athéniens, comme nation maritime, pour la supériorité de leurs flottes. XIII. Après avoir continué les attaques pendant tout ce jour et une partie du lendemain, les Lacédémoniens y renoncèrent. Le surlendemain ils envoyèrent quelques vaisseaux à Asiné A l’extrémité de la Messénie, près du promontoire Acritas, aujourd’hui Capo-Gallo. chercher du bois pour des machines  ; ils espéraient, avec leur secours, enlever la muraille du côté du port. C’était, il est vrai, dans cette partie qu’elle avait le plus de hauteur  ; mais l’atterrage était plus facile sur ce point. Sur ces entrefaites la flotte athénienne arriva de Zacynthe au nombre de quarante voiles  ; car il s’y était joint quelques-uns des stationnaires de Naupacte et quatre bâtiments de Chio. Quand ils virent le continent et l’île couverts d’hoplites, et, dans le port, des vaisseaux qui ne faisaient aucun mouvement pour sortir, ils ne surent où prendre terre, et gagnèrent Proté, île déserte, à peu de distance. Ils y passèrent la nuit  ; le lendemain ils mirent à la voile, décidés à accepter le combat si l’ennemi venait à leur rencontre en haute mer, sinon à entrer eux-mêmes dans le port. Les Lacédémoniens ne sortirent pas contre eux  ; ils n’avaient même pas fermé les passes comme ils se l’étaient proposé  ; ils étaient tranquillement à terre occupés à embarquer leurs troupes, et sê préparaient, en cas d’attaque, à combattre dans le port Afin d’étre secondés par leur armée de terre. qui est assez vaste C’est le plus vaste de la Grèce. . XIV. Les Athéniens, pénétrant leurs intentions, fondirent sur eux par les deux passes. Déjà la plupart des vaisseaux étaient éloignés du rivage, la proue en avant  ; ils les mirent en fuite, les atteignirent aisément dans un espace resserré, en maltraitèrent un grand nombre et en prirent cinq, dont un avec tout son équipage. Ils se précipitèrent sur ceux qui s’étaient réfugiés à la côte  ; quelques-uns furent brisés avant d’avoir démarré, et pendant que les troupes y montaient encore. Plusieurs étaient vides et abandonnés par leurs équi- pages en fuite  ; ils les attachèrent, et se mirent à les remorquer. A cette vue, les Lacédémonicns, désespérés d’un désastre qui emprisonnait leurs guerriers dans l’île, accoururent au secours : ils entraient tout armés dans la mer, saisissaient les vaisseaux et les tiraient de leur côté  ; chacun croyait que les choses iraient mal là où il n’était pas de sa personne. C’était, autour des vaisseaux, un affreux tumulte, au milieu duquel les deux nations échangeaient leur manière de combattre. Car les Lacédémoniens, emportés par leur ardeur et leur désespoir, ne faisaient pas autre chose en quelque sorte que donner sur terre un combat naval, tandis que les Athéniens, victorieux et jaloux de pousser aussi loin que possible leurs avantages, livraient du haut de leurs vaisseaux un combat de terre. Enfin, après s’être fait bien du mal et porté bien des coups de part et d’autre, on se sépara. Les Lacédémoniens sauvèrent leurs vaisseaux vides, à l’exception des premiers qui avaient été pris, et chacun se relira dans son camp. Les Athéniens dressèrent un trophée, rendirent les morts, et restèrent maîtres des débris des navires. Ils établirent aussitôt une croisière autour de l’île et firent bonne garde pour s’assurer des guerriers qui y étaient enfermés. Les Péloponnésiens, accourus de toutes parts pour l’attaque et campés sur le continent, restèrent sur la plage, en vue de Pylos. XV. Quand les événements de Pylos furent connus à Sparte, on décida, comme dans les grandes calamités, que les magistrats descendraient au camp, qu’ils verraient les choses par eux-mêmes et aviseraient in- continent. Ceux-ci reconnurent l’impossibilité de secourir les guerriers  ; mais ne voulant ni les exposer aux conséquences de la famine, ni les laisser écraser par un ennemi supérieur, ils jugèrent à propos de faire, avec les généraux athéniens, si ceux-ci y consentaient, un armistice au sujet de Pylos, d’envoyer ensuite à Athènes des ambassadeurs pour ménager un accord, et de tâcher d’obtenir au plus tôt la remise de leurs guerriers. Ces ouvertures ayant été accueillies par les généraux, on convint des articles suivants : les Lacédémoniens livreraient aux Athéniens et conduiraient à Pylos les bâtiments sur lesquels ils avaient combattu, ainsi que tous les vaisseaux longs qui se trouvaient en Laconie  ; ils ne porteraient les armes contre la place ni par terre ni par mer. Les Athéniens, de leur côté, permettraient aux Lacédémoniens du continent d’envoyer aux guerriers de l’île une quantité déterminée de blé tout moulu, savoir, deux chénices attiques de farine par homme Et par jour. Dans les repas publics les Spartiates recevaient chacun, deux chénices de farine  ; on ne donnait pas moins d’un chénice pour les esclaves. On peut d’après cela conjecturer lu dimension du chénice. , deux cotyles de vin Le cotyle était le quart du chénice. et de la viande  ; moitié en sus pour chaque valet. Ces envois seraient surveillés par les Athéniens, et aucun bâtiment ne passerait furtivement dans l’île. Les Athéniens continueraient à garder l’île, mais sans pouvoir y descendre  ; ils ne porteraient les armes contre l’armée peloponnésienne ni sur terre ni sur mer. A la moindre infraction, de part ou d’autre, et de quelque nature qu’elle fùt, le traité était déclaré rompu. Il devait durer jusqu’au retour des ambassadeurs lacédémoniens envoyés à Athènes. Les Athéniens s’engageaient à les y conduire et à les ramener sur une trirème  ; à leur retour la trêve cessait, et les Athéniens rendaient les vaisseaux dans l’étal où ils les avaient reçus. L’armistice fut conclu sur ces bases : les vaisseaux furent livrés, au nombre de soixante environ, et les députés partirent. Arrivés à Athènes, ils parlèrent ainsi Aristophane, dans les Chevaliers (v. 794), appelle Archeptolémus le chef de l’ambassade. II gourmande Cléon d’avoir fait rejeter les conditions équitables qu’il proposait. : XVII. « Athéniens, les Lacédémoniens nous ont envoyés, à l’occasion des guerriers del’île, pour traiter avec vous et vous faire agréer des propositions qui soient tout à la fois utiles pour vous et honorables pour nous-mêmes, autant du moins que le comportent nos infortunes présentes. Ce ne sera pas manquer à nos principes que de parler, en cette circonstance, un peu plus longuement que de coutume : car il est dans nos usages de parler peu, quand peu de paroles suffisent, et de nous étendre davantage, lorsque cela est nécessaire, dans les occasions où nous avons quelque vérité essentielle à faire entendre. N’accueillez pas ces paroles en ennemis  ; considérez-les, non comme une leçon que nous prétendrions donner à l’inexpérience, mais comme un simple appel à de sages résolutions, adressé à des hommes auxquels nous n’avons rien à apprendre. « Vous pouvez faire un bon emploi de votre bonne fortune présente, en gardant ce qui est en votre possession, et en y ajoutant l’honneur et la gloire. Mais gardez-vous d’agir comme ces hommes que quelque événement heureux a surpris inopinément : ils ne cessent de porter plus loin leurs espérances, précisément parce que même le bonheur actuel a été pour eux une surprise. Mais ceux qui, bien des fois, ont éprouvé les alternatives de la bonne et de la mauvaise fortune, doivent naturellement aussi être plus portés à se défier de la prospérité. Ces sentiments de défiance, l’expérience doit les avoir inspirés à votre nation, mais surtout à nous  ! XVIII. « Voyez plutôt, et considérez nos malheurs actuels. Nous dont la réputation n’avait pas d’égale parmi les Grecs, nous venons vers vous solliciter nousmêmes ce que jusqu’ici nous nous croyions plus que personne en mesure d’accorder aux autres. Et cependant nos désastres ne tiennent ni à l’affaiblissement de nos forces, ni à l’insolence qu’inspire l’accroissement de la puissance : notre puissance était ce qu’elle fut toujours lorsque toutes nos prévisions ont été déçues  ; et il n’est personne à qui le même malheur ne puisse arriver. Il ne faut donc pas que la prospérité présente de votre république et vos récents succès vous fassent croire que la fortune sera toujours avec vous. Les vrais sages sont ceux qui mettent en sûreté des biens dont ils connaissent l’instabilité  ; ce sont aussi ceux qui savent le mieux tirer parti des revers de la guerre. Ils ne croient pas qu’on puisse prolonger les hostilités suivant son caprice, et prennent bien plutôt conseil des événements. Aussi, moins exposés que personne aux revers, parce qu’ils ne se laissent pas emporter par la confiance qu’inspire le succès, ils ne sont jamais plus disposés à mettre fin aux hostilités qu’au milieu de la prospérité. « Voici pour vous, Athéniens, le moment opportun de tenir avec nous cette conduite : si, comme cela est très possible, il vous survenait plus tard quelque revers pour avoir négligé nos avis, on pourrait croire que c’est à la fortune seule que vous avez dû même vos succès actuels  ; tandis que vous pouvez, sans courir aucun danger, léguer à la postérité une haute idée de votre puissance et de votre sagesse. XIX. « Les Lacédémoniens vous convient à traiter et à mettre fin à la guerre  ; ils vous offrent la paix, leur alliance, une amitié sans bornes, une réciproque intimité  ; ils réclament en retour les guerriers enfermés dans l’île. Ils pensent que, pour les deux partis, il vaut mieux ne pas s’exposer à l’alternative de les voir ou s’échapper de vive force s’il se présente une occasion favorable, ou tomber dans une plus dure servitude s’ils sont réduits par un siège. Nous croyons aussi que le meilleur moyen de terminer d’une manière durable les grandes inimitiés n’est pas que l’un des deux partis, après une lutte opiniâtre, profite de ses avantages pour enserrer l’autre dans des serments forcés, et pour lui imposer des lois au nom de sa supériorité  ; le mieux est que, tout en ayant le pouvoir d’en agir ainsi, il se mette, par sa modération et sa générosité, au-dessus de ces prétentions, et trompe l’attente de son adversaire en lui accordant des conditions modérées. Car l’adversaire, obligé dès lors non plus à se venger comme s’il eût été contraint, mais à payer de retour un acte de générosité, est, par pudeur, plus disposé à respecter les conventions. Mais c’est surtout envers ses plus grands ennemis qu’on doit tenir cette conduite, bien plus encore qu’envers ceux avec lesquels on n’avait que des démêlés sans importance. A ceux qui cèdent sans y être forcés, il est naturel de céder soi-même avec plaisir  ; au contraire on se hasarde, même au delà de ce qu’on projetait, contre un adversaire trop insolent. XX. « L’occasion est plus que jamais favorable pour une réconciliation mutuelle, avant qu’il vienne s’interposer entre nous un irrémédiable malheur Le massacre des guerriers de Sphactérie. , qui soulèverait nécessairement contre vous la haine de tous et de chacun de nous Chacun aurait en effet à venger un parent ou un ami, si les soldats de Sphactérie étaient égorgés. et vous priverait des avantages que nous vous offrons spontanément. Réconcilions-nous donc pendant que le sort des armes est encore indécis, vous, avec la gloire et notre amitié en partage  ; nous, avant la honte et sous le coup de revers encore sans gravité  ; échangeons la guerre pour la paix, et donnons au reste des Grecs le repos après tant de souffrances. C’est à vous surtout qu’ils croiront devoir ces biens. Ils supportent les maux de la guerre sans trop savoir qui l’a commencée  ; mais si elle vient à cesser, ce qui dépend surtout de vous, c’est à vous qu’ils en auront la reconnaissance. Vous pouvez vous assurer d’une manière durable l’amitié des Lacédémoniens  ; eux-mêmes vous y sollicitent, et cela par bienveillance bien plus que par nécessité. Considérez d’ailleurs tous les avantages qui doivent résulter de celle union : lorsqu’il y aura entre nous accord de volontés, sachez que, plus forts que tous les autres peuples de la Grèce ensemble, nous obtiendrons de leur part une entière déférence. » XXI. Ainsi parlèrent les Lacédémoniens  ; ils pensaient que les Athéniens, disposés précédemment à un accommodement qui n’avait échoué que par l’opposition de Lacédémone, accepteraient volontiers la paix qu’on leur oftrait maintenant, et rendraient les guerriers. Mais ceux-ci, persuadés qu’avec les guerriers de l’île en leur pouvoir ils trouveraient toujours, quand ils le voudraient, les Lacédémoniens disposés à la paix, portaient plus haut leurs prétentions Aristophane dit, dans la Paix , v. 666, qu’on alla trois fois aux voix dans l’assemblée du peuple sur la proposition des Lacé- démoniens. . Ils y ôtaient surtout excités par Cléon, fils de Cléenète, démagogue puissant à cette époque, et qui avait une grande autorité sur la multitude. Il leur persuada de répondre que les guerriers de l’île devaient d’abord être livrés avec leurs armes, et amenés à Athènes  ; qu’après leur arrivée, les Lacédémoniens rendraient Nisée, Pèges, Trézène et l’Achaïe, qui se trouvaient entre leurs mains non par droit de conquête, mais en vertu du dernier traité auquel des malheurs et le besoin de la paix avaient forcé alors les Athéniens de souscrire  ; qu’à ces conditions on leur rendrait les prisonniers, et qu’on ferait une trêve dont la durée serait réglée d’un commun accord. XXII. Les députés, sans faire aucune objection à cette réponse Suivant Diodore ( xii , 63), les ambassadeurs auraient proposé de rendre un nombre égal de prisonniers, et, sur le refus des Athéniens, ils auraient ajouté que ceux-ci estimaient les Lacédémoniens plus qu’eux-mémes, puisqu’ils ne consentaient pas à l’échange. , demandèrent qu’on nommàt, pour s’entendre avec eux, des commissaires avec lesquels ils pussent régler à l’amiable et après discussion les points sur lesquels on tomberait d’accord de part et d’autre. Mais à cette proposition Cléon s’emporta avec violence, disant qu’il savait bien à l’avance qu’ils n’avaient aucune bonne intention  ; que cela était clair maintenant, puisqu’ils refusaient de s’expliquer devant le peuple et ne voulaient conférer qu’avec quelques com- missaires. Il leur enjoignit, si leurs intentions étaient droites, de parler devant toute l’assemblée. Mais les Lacédémoniens, quoique disposés par leurs malheurs à quelque concession, sentaient qu’il leur était impossible de s’expliquer devant la multitude, parce qu’ils donneraient prise aux récriminations de leurs alliés, si leurs offies étaient rejetées. Sentant bien, d’ailleurs, que les Athéniens ne traiteraient pas à des conditions modérées, sur les bases qu’ils avaient proposées, ils quittèrent Athènes sans avoir rien fait.